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LA QADIRIYA
Elle n'apparaît qu'après la mort de son ancêtre éponyme Abdel Qader El Jeïlani (1077-1166). Elle se développe d'abord en Espagne musulmane puis en Afrique du Nord après la prise de Grenade en 1492.
Son expansion en Mauritanie précède d'une génération au moins celle de la Tijaniya. Elle est d'abord l'œuvre de Cheikh Sid El Mokhtar El Kounti (1729-1811). Il sera relayé par son fils Cheikh Sidi Mohamed, grand-maître de la Qadiriya saharienne, désigné comme son successeur en 1809 et surtout par Cheikh Sidiya El Kebir (1780-1869) avec lequel elle prend le nom du premier cheikh kounta détenteur de la voie : Cheikh Sid Ahmed El Bekkaye (mort en 1515). Parallèlement à la silsila (chaîne spirituelle) de la Qadiriya bekkaya, une autre, la Qadiriya fadhiliya voit le jour sous l'impulsion de Cheikh Mohamed Fadhel (1780-1870).
1/ Qadiriya bekkaya
A la fin du 18ème siècle, Cheikh Sid El Mokhtar El Kounti, par son intelligence, son charisme et ses dons exceptionnels, jette un éclat sans précédent sur la voie qadiriya qui devient ainsi celle qui regroupe le plus d'affiliés dans la partie occidentale du Sahara.
Son rayonnement et son prestige rejaillissent sur l'ensemble de la tribu kounta et la valorisent. Après des études pénibles parmi les Touaregs de l'Azawad, il complète sa formation chez Cheikh Sidi Ali qui l'initie au soufisme et lui transmet le werd3 qadiri, l'autorisant à le « conférer à ceux qu'ils en jugent dignes ». Bientôt, il succède à celui-ci comme cheikh de la confrérie. Dans ce rôle de chefferie spirituelle et temporelle de la voie, il déploie des talents exceptionnels dans une action religieuse, économique et politique des plus importantes. Enseignant, mais également entrepreneur de transports commerciaux, il accompagne les caravanes sillonnant la Mauritanie et une partie de l'ancien Soudan. Il propage ainsi la voie auprès des Kounta du Tiris, de l'Adrar, du Tagant et des deux Hodh. Son fils Cheikh Sidi Mohamed lui succède. A la mort de ce dernier (1825), la direction de la confrérie revient sans contestation à celui qui a été le disciple le plus remarquable de son père et le sien : Cheikh Sidiya El Kebir qui reprend le flambeau de la tariqa et le fait briller dans le sud-ouest saharien. Avec lui, la Qadiriya bekkaya déplace son centre de gravité de l'est vers l'ouest à Boutilimit dans le Trarza au nord de la vallée du fleuve Sénégal.
Investi du titre de moqadem4 et de cheikh de la confrérie pour l'ouest saharien après avoir couronné ses études par l'initiation soufiste quinze années durant, Cheilh Sidiya El Kebir revient dans sa tribu, les Oulad Ebyeri qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort. Parmi les siens, il mène une existence de parfait chef de confrérie, dirige sa zawaya, enseignant à des disciples de haut niveau venus des régions de l'ouest saharien , mais aussi de l'Assaba, du Tagant, du Sénégal et du Niger et propageant la voie Qadiriya bekkaya ; il accumule une immense fortune ; ses disciples et ceux qui le révèrent, ceux qui voient en lui le porteur de la bénédiction divine lui offrent des cadeaux de valeur. Cette richesse, « véritable don du ciel », n'est pas considérée comme un bien personnel dont le cheikh dispose à son profit. « C'est en réalité un dépôt qu'il redistribue autour de lui, enrichi de sa bénédiction (par simple contact), en bienfaits et en aumônes (enseignement gratuit, entretien des démunis, paiement d'amendes à la place des insolvables de la tribu) » (Désiré-Vuillemin, 1997). Situation comparable à ce qui se passait au Moyen Age en Occident où les dons des fidèles aux églises et aux ordres religieux étaient distribués dans le service social de l'enseignement et de l'assistance aux plus démunis.
Sa piété, sa science, son équité et sa générosité lui valent son surnom d'El Kebir (le grand). A toutes ses vertus, il allie la modestie : jamais il ne fait allusion à son don de miracle. Il fait émerger sa tribu et sa confrérie grâce à son prestige et son ascendant et s'impose par sa réputation et son pouvoir miraculeux. Son influence morale et politique due au nombre de ses disciples, affiliés et fidèles, en sus de sa richesse considérable, traverse la frontière mauritanienne. Il joue un rôle important dans le réveil islamique de grande ampleur, à la fois doctrinaire et guerrier, qui se développe pendant les trois premiers quarts du 19ème siècle en Afrique soudanaise et qui est suscitée par trois marabouts noirs : Ousman Dan Fodié, Cheikh Amadou (tous deux qadiri) et El Hadj Omar (tijani).
Cheikh Sidiya El Kebir n'a qu'un seul fils qui meurt un an après lui. Son petit-fils, Cheikh Sidiya Baba, né en 1862, héritier de la baraka paternelle prend la succession. Homme aimable, distingué, d'une piété profonde mais sans fanatisme, il admet que les adeptes des autres religions révélées peuvent être vertueux. Il formule une pensée audacieuse voire révolutionnaire dans le contexte politique et social de son temps : il déplore et condamne les abus de certains usages comme les quêtes excessives de plusieurs marabouts peu scrupuleux qui n'hésitent pas à dépouiller un village de toutes ses réserves sous couleur d'offrandes religieuses en échange de la protection d'une bénédiction ou qui font commerce des talismans. Sans parler des faux marabouts contre lesquels il demande des sanctions. Il ne voit l'amélioration que dans une prise de conscience plus approfondie de l'islam qui se traduirait par une pratique plus orthodoxe : passer de la religion apparente, des paroles et des gestes à celle moins visible de l'esprit et du cœur. Il admet une réalité historique que beaucoup renient : les tribus maraboutiques sont d'origine sanhaja c'est à dire berbère[Cheikh Sidia Baba fait allusion aux zwayas vaincus et vassalisés par les guerriersHassans,descendantsde Ma'qil,descendant deJa'far,cousinduProphète,ndlr]et le sort des armes les a placées sous la domination des guerriers arabes.
Il dit vouloir ouvrir des horizons à ses disciples et leur donner une méthode de travail plutôt que de leur apprendre quelque chose. Son ralliement à la cause française a suscité des appréciations contradictoires. Du côté français, on s'est félicité de la clairvoyance, de la fidélité, du dévouement du grand cheikh qui ne se sont jamais démentis même au plus critique des moments (la mort de Coppolani).
La Qadiriya bekkaya est aujourd'hui bien ancrée dans les Hodh, au Tagant et au Trarza, mais sa branche la plus active reste au Sénégal (Mourides de Touba).
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